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  Temps de l'Eglise, temps de la mission, Ch.III LA MISSION,
CONCRETEMENT, DANS LA VIE D'EMILIE

par Sr M.Pascale Epailly

Rappelons ce que nous avons vu dans les deux premiers chapitres du "temps de l'Eglise, temps de la mission :
L'attitude spirituelle fondamentale : les sources de la mission de tout missionnaire sont :
* le désir que tous les peuples louent le Seigneur.
* le recueillement, l'union à Dieu.
* la recherche de la volonté de Dieu en Eglise.
* le désintéressement et la désappropriation de soi : c'est l'œuvre de Dieu et pas la nôtre.
L'Eucharistie est la source et la nourriture pour la mission
C'est alors que la mission va se traduire dans des actions concrètes.
.


La mission est la réponse à un appel ?
Bien sûr ! Mais on peut distinguer deux types d'appel.
a) Un appel intérieur.
On le voit particulièrement au début de la vocation d'Emilie. Contrairement à d'autres fondatrices, personne, aucun prêtre ne lui a fait appel. C'est le Seigneur, directement et très progressivement, qui lui a fait comprendre qu'il lui demandait de "fonder une œuvre pour assister les pauvres jour et nuit." Mue et nourrie par sa contemplation, elle a remarqué, elle a "vu" les besoins de ceux qu'elle rencontrait et elle a commencé à agir. Et c'est lesuccès de ses actions, "succès" qu'elle attribue à Dieu et non à elle-même et "l'attrait" avec lequel elle les faisait qui lui a confirmé sa vocation.
Elle la fait ensuite vérifier par son confesseur, par celui qui représente pour elle l'Eglise. Plus tard, elle soumettra le "Règlement de la Maison de Gaillac à l'archevêque d'Albi.



Cela peut être aussi la suite d'une réflexion.
La fondation à Tunis semble avoir comme point de départ la réflexion personnelle de Ste Emilie, sans doute pour étendre le champ d'action de sa Congrégation naissante, mais peut-être aussi parce qu'elle sentait ce qui risquait d'arriver en Algérie. Ayant remarqué que : "… on envoie à notre maison de Bône des enfants Européennes de Tunis…" Elle étudie la question puis écrit à Mgr de Gualy en 1840 :
" … je m'empressais de vous faire connaître la nouvelle et importante fondation que j'ai l'inspiration de faire…. Maintenant que je me crois appelée j'ai un vif désir de remplir cette mission."

b) Un appel venant de quelqu'un d'autre, généralement de l'Eglise.
* Le premier appel pour une mission lointaine ne vient justement pas d'un ecclésiastique, mais par "…le Conseil municipal d'Alger…par l'organe d'un de ses membres (son frère Augustin)" qui, eux aussi, "voient" la misère des populations d'Algérie.



* Les autres appels viennent souvent par des prêtres ou des évêques qui sont en mission dans tel ou tel pays, "voient" les besoins, et demandent des Sœurs.
"D'après une lettre du Révérend Don Bruno, prêtre oblat de notre Congrégation, qui eut l'honneur de faire votre connaissance dans l'île de Malte….Je la(votre très aimable personne) prierai de vouloir bien me faire savoir le plus tôt qu'elle le pourra, si elle serait disposée à envoyer …. six à huit de ses filles dans la mission Birmane d'Ava et Pégu…" (Père Avaro, 1845).

Dans chaque cas, l'appel est étudié :
* vérifié par l'Eglise à moins qu'il ne vienne d'elle.
* mais aussi Emilie regarde si elle a des Sœurs
- qui peuvent répondre aux besoins demandés : santé, "A cinq heures du soir, la Sœur Sophie a passé à l'éternel repos… elle souffrait déjà depuis un mois de l'usage de ses membres …. (Sr Thérèse Mackensie Supérieure à Moulmein1848) - compétences, etc ….
"L'évêque Ceretti … me demandait 10 Sœurs de ma Congrégation, dont trois Anglaises et sept Françaises …Quelques Sœurs connaîtront la pharmacie et auront de l'habileté pour le soin des malades, même pour les petites opérations chirurgicales. Pour l'éducation, elles seront dans le cas d'élever des enfants de la première classe de la société de ce pays … arithmétique approfondie, la géographie, l'histoire … les langues Anglise, Française, Italienne et, j'espère Portugaise …." (1845)

- et si elles auront les moyens de subsister.
" … Quant aux dépenses à faire pour se rendre au Pégù, mes Sœurs seront munies personnellement du linge et autres objets qui leur seront nécessaires, mais pour les frais de voyage … nous sommes, pour cette fois, dans l'impossibilité d'y entrer pour rien…" (1845)
" Le Conseil (de la Propagation de la Foi) … m'assure de l'anticipation d'un acompte … afin de fournir à vos religieuses les frais de traversée aux Indes. Mais le même Conseil ne peut pas nous garantir un supplément de l'allocation ordinaire des Sœurs pour la mission, il faudra réduire pour le présent les religieuses au nombre de six…."


Qui sont les bénéficiaires de cette mission ? ?

a) Dès la Relation des grâces qui relate comment est née sa vocation, on peut lire :

"Je me livrai à l’attrait qu’il m’avait inspiré pour exercer la charité envers le prochain : soit en allant visiter les malades à domicile pour leur donner mes soins et leur porter secours, soit en travaillant à la conversion des pécheurs et des hérétiques."


Après sa "conversion" intervenue pendant la mission paroissiale, Emilie intensifie sa relation à Dieu ; elle est favorisée de la vision du Christ avec ses cinq plaies et la conséquence en est le texte que nous venons de lire. Elle a un "attrait", des dispositions, pour se tourner vers les autres et sa contemplation la fait passer à l'acte. Remarquons les trois types d'action qu'elle fait :
- visiter les malades,
- travailler à la conversion des pécheurs,
- et des hérétiques ; ces deux derniers types d'action visant à faire connaître Dieu et à aider ceux qui ont du mal à suivre son chemin à revenir vers lui.
Plus loin, nous lisons :

"Par les actes mêmes de charité auxquels je me livrais, ma vocation me parut de plus en plus convaincante à cause de l’attrait avec lequel je les faisais et du succès que Dieu y attachait ; car je pus ramener à Dieu et à la pratique de la religion des filles et femmes pécheresses, convertir quelques protestants et rétablir la santé à plusieurs pauvres malades abandonnés des médecins."

Ce texte est très fort car c'est l'action apostolique, qui correspond à ce pourquoi elle est faite (l'attrait) et à laquelle Dieu permet des résultats positifs (le succès) qui lui confirme que c'est bien dans cette voie que Dieu l'appelle. Elle commence par citer "ramener à Dieu des filles et femmes pécheresses", puis "convertir quelques protestants", et enfin "rétablir la santé à de pauvres malades." Faut-il y voir un ordre de priorité ?

b) Un autre texte important est la lettre qu'elle écrit de Paris à Françoise Pezet en 1826. C'est la seule lettre que nous ayons d'Emilie avant la Fondation, lettre qui nous montre ses préoccupations :

"J'ai été satisfaite de la piété qui règne dans les églises ; on y voit un grand nombre de personnes pieuses qui dédommagent, autant qu'elles le peuvent, le Seigneur de l'irréligion qui règne dans cette ville ; car il s'en faut bien que ce soit une ville sainte ; les personnes religieuses que l'on y trouve n'en font que la plus petite partie. Le culte, même hors des églises, n'est pas public. Par exemple, pour administrer la communion aux malades, cela se fait sans pompe ; le prêtre porte la saint Eucharistie dans une boîte, et personne ne s'en aperçoit. L'on est obligé de faire ainsi pour éviter les insultes au Saint Sacrement et au ministre qui le porte. J'ai vu quelques personnes dernièrement qui s'affligeaient, en ma présence, du nombre des malheureux qui meurent privés du secours de la religion, pour n'avoir personne qui leur procure les moyens de les avoir. Cela paraît surprenant, car il ne manque pas d'âmes charitables ; mais Paris est si grand que leur bienfaisance ne peut suffire à tout. Il y a des quartiers où les prêtres ne peuvent aller la nuit, pour porter le Bon Dieu aux malades, qu'avec une escorte, à cause des mauvais sujets. Dans notre faubourg cela n'est pas ainsi ; les prêtres sortent en soutane dans le jour, sans être exposés ; mais il n'en est pas de même partout."

Ce qui frappe Emilie, c’estl’athéisme et l’anticléricalisme de certains à Paris. On sent que cela lui tient à cœur, que ça la préoccupe beaucoup.
"Les personnes religieuses que l'on y trouve n'en font que la plus petite partie".
Il y a tous les autres ! Ce sont des « infidèles », ceux que l’on peut rencontrer en France à cette époque après la Révolution Française.

Plus tard, elle sera attirée par les "infidèles" que l’on rencontre dans les pays étrangers : juifs, musulmans, bouddhistes, et même Chrétiens non catholiques.



Certes, elle note que "les personnes pieuses dédommagent, autant qu'elles le peuvent, le Seigneur de l'irréligion qui règne dans cette ville." Mais cela ne suffit pas.

c) Dans les fondations, quand cela est possible, la mission s'adresse aussi à de "jeunes personnes de bonne famille". Emilie a le souci des vocations, vocations de personnes ayant des aptitudes qui permettront d'œuvrer dans les différentes missions, dans diverses fonctions, même celles comportant des responsabilités. C'est le cas à Rome, puis à Malte :
" … j'ai cru que le moment d'effectuer l'œuvre projetée depuis deux ans était arrivé … ce pays (Malte) désirait depuis longtemps une institution Française … Dans une contrée éminemment catholique, des Sœurs non cloîtrées étaient une vraie nécessité tant pour l'instruction que pour la charité.Nombre de jeunes personnes ne pouvaient d'ailleurs remplir leur vocation. C'est pourquoi nous ne pouvons répondre de suite à toutes les demandes qui nous sont faites pour entrer dans l'Institut. Nous avons déjà admis trois personnes appartenant à des familles honorables …. La connaissance de l'Anglais nous étant aussi bien nécessaire que celle de l'Italien et du Maltais." (à la Supérieure de Tunis, 1854)


Pourquoi ces gens-là ? parce que, d'une façon ou d'une autre, ils font partie de "l'humanité souffrante".?
Dans la lettre à Françoise Pezet citée plus haut, on lit :

"Je n'ai pas encore été voir les hôpitaux ; je m'occupais, ces jours derniers de faire des courses ; si ceux de Toulouse sont intéressants à voir, ceux de Paris le sont bien davantage. Il y en a un, c'est celui des incurables, où il y a plusieurs milliers de personnes : je crois que c'est trois ou quatre mille. Mon grand père étant administrateur, j'ai l'occasion de voir chez lui beaucoup de personnes qui sont à la tête de ces établissements qui sont tous tenus par les Sœurs de charité."

L’organisation des hôpitaux à laquelle elle peut avoir accès car son grand-père en est administrateur l'intéresse. Elle remarque que ces hôpitaux « sont tous tenus par les sœurs de charité ». Est-ce une interprétation abusive que de paraphraser ainsi : "puisqu’ils sont pris en charge par des religieuses, il n’y a pas de place pour moi – ou alors je rentre chez ces Religieuses".
Elle que le Seigneur l’appelle à quelque chose d’autre, à œuvrer dans des domaines qui ne sont, à cette époque, pris en charge par personne. Et il y en a beaucoup, l'humanité souffre de divers maux et dans beaucoup d'endroits, personne n'a encore essayé de soulager ces maux. C'est donc là qu'il faut aller.


Pour quoi ? Dans quel but ? pour qu'ils comprennent que Dieu les aime. ?



* Bien sûr, il y a la pauvreté matérielle qu'il faut soulager d'abord.
* Mais le début du XIX e siècle est marqué par l'expansion coloniale et, dans le milieu, où vit Emilie, elle entend parler de ces contrées lointaines qui ne connaissent pas la Foi Chrétienne.
Peu à peu, elle se sent attirée par ces populations :
"J’avais un grand attrait pour les missions étrangères, et sans que je m’en rendisse compte, j’éprouvais un sentiment très vif qui transportait mon coeur dans les régions infidèles, toutes les fois qu’étant à Paris, j’entrais dans l’église des missions, ou bien en province dans une des paroisses de ma propre ville qui honore St François Xavier d’un culte tout particulier, et à l’âge de dix-huit ans, je fis le vœu d’invoquer chaque jour ce grand saint en récitant des prières en son honneur." (Relation des grâces).

Son frère Augustin, part avec les premiers colons pour apporter la civilisation Française aux populations Algériennes ; c'est pour lui une opération "noble et lucrative" mais il découvre aussi la misère de ces populations et en fait part à sa sœur.
Là bas, pas de religieuses ; personne pour s'occuper des malades, des orphelins, pour éduquer les enfants … et, de plus, ces sont des populations juives et musulmanesqui ne connaissent pas Jésus.
Pour Emilie, c'est une raison de plus d'y aller comme elle le dira plus tard à propos de Tunis :

"Tunis est une ville aussi considérable que Marseille, c'est une ville infidèle.Voila ce qui m'y attire avec joie et me fait bénir le Seigneur de vouloir se servir de nous pour opérer quelque bien. Il n'y a pas à Tunis d'établissement de religieuses … Personne, dans cette ville ne se consacre au soin des malades …" (à Mgr de Gualy, 1840)

On retrouve les mêmes accents pour la fondation en Birmanie :

" Puissent-elles (les Sœurs) contribuer par leurs faibles efforts à faire connaître, adorer et aimer le Dieu de toute vérité, c'est là mon désir et mon unique ambition en vous les envoyant." (à M. l'Abbé Bruno, 1845).

En conclusion,
Il semble donc bien que ce à quoi se sentait appelée Emilie, c'était :
répondre aux besoins qui n'étaient pas couverts par d'autres,
soulager toutes les formes de pauvreté,
et en priorité la pauvreté spirituelle de ceux qui ne connaissent pas Dieu ou ont du mal à vivre selon sa Parole.



C'est chacun de nous que Jésus envoie en mission mais il est bon de nous poser quelques questions :
Quelle est l'attitude spirituelle fondamentale qui nous pousse à telle ou telle action ?
Est-ce en réponse à un appel ? cet appel est-il en lien avec l'Eglise (sinon, ce n'est pas une mission, c'est notre affaire) ?
Qui est l'objet de cet envoi en mission ? l'humanité souffrante – souffrant de divers maux :
- matériels ?
- moraux ?
- spirituels ?
Que recherchons-nous ? D'une façon ou d'une autre, que ceux à qui on s'adresse connaissent l'amour de Dieu en Jésus et vivent selon cet amour.



 
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