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 ...raconte-moi la vie de tes soeurs actuellement.
 
  Soeur Nicole, et la Bulgarie des années passées
Soeur Nicole vient d'être décorée par la France. Le discours de l'ambassadeur de France en Bulgarie retrace bien ce qu'ont vécu nos Soeurs.

PROPOS DE L’AMBASSADEUR DE FRANCE EN BULGARIE
M. ETIENNE DE PONCINS,
A L’OCCASION DE LA REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DE LA LEGION D’HONNEUR
A SŒUR NICOLE KARAKOLEVA

PLOVDIV, le mardi 20 janvier 2009

Monsieur le Maire, Monsieur le Ministre,
Mesdames,et Messieurs,
Monseigneur,
Ma Sœur,


Il est une tradition dont mon pays peut être fier, c’est celle qui conduit à honorer ses ressortissants et ceux des pays qui lui sont proches. C’est une tradition ancienne puisque comme chacun sait qu’elle a été instaurée par l’empereur Napoléon, il y a un peu plus de 200 ans.

Aujourd’hui c’est autour de Sœur Mariana KARAKOLEVA que nous sommes conviés, tant sœur Mariana que la congrégation des Sœurs de Saint Joseph sont populaires et appréciées à Plovdiv.

Je salue vos amis et, en particulier, Monseigneur Gueorgui YOVTCHEV ainsi que le père Daniel GILIER, membre de la Congrégation française des pères assomptionnistes, curé de la paroisse et également aumônier de la communauté française en Bulgarie. Je salue tout particulièrement les membres de la congrégation de Saint Joseph de l’Apparition qui vous entourent, ma sœur.
Sur ma proposition, le Président de la République a souhaité reconnaître vos mérites, ma Sœur.

Nous célébrons ces jours-ci la visite historique du Président François Mitterrand en Bulgarie. J’ai souhaité que ces commémorations s’achèvent de façon tout à fait symbolique par cette distinction qui vous est remise. A travers vous, je souhaitais rendre hommage à tous ceux qui au cours des 45 ans de régime communiste ne se sont jamais résignés, n’ont jamais renoncé à leurs valeurs et sont restés fidèles à leurs convictions religieuses et politiques ainsi qu’à l’amitié qui lie les peuples bulgares et français. L’histoire de votre pays, la Bulgarie, et de l’amitié entre la France et la Bulgarie sont au cœur de votre itinéraire personnel.

La Francophonie en Bulgarie tire largement son origine des congrégations religieuses qui, dès la libération de votre pays et parfois même avant, se sont installées en Bulgarie, ont ouvert des collèges pour garçons et filles, Varna, Sofia et bien sûr Plovdiv. La France n’oublie pas ce qu’elle doit au dévouement de ces hommes et ces femmes courageux qui ont porté sa langue à des générations de jeunes Bulgares.

L’histoire peut paraître parfois abstraite. Ce sont des mots « répressions totalitaires », « régime dictatorial ». Mais il ne faut jamais oublier que, derrière ces mots, il y a des histoires personnelles, des destins et des vies brisées. Une somme de souffrances et de malheurs. Et pour illustrer à la fois le courage et la souffrance du peuple bulgare au cours du régime communiste, pouvions-nous, ma sœur, trouver une vie plus exemplaire et plus significative que la vôtre ?
Je sais que vous êtes modeste, trop modeste sûrement, et discrète mais je veux néanmoins rappeler devant vos amis ici rassemblés votre vie car elle est tout à la fois exceptionnelle par la ténacité et le courage dont vous avez fait preuve mais aussi exemplaire car elle s’inscrit également dans l’histoire douloureuse du continent européen.
Votre vie aurait pu et aurait dû être toute tracée. Vous vouliez la consacrer tout entière à Dieu et au calme d’une vie religieuse au sein de la Congrégation de Saint Joseph de l’Apparition, fondée en 1832 par Émilie de Vialar, originaire de la ville de Gaillac, en France, et que vous avez choisie.
Mais la Providence ou le destin en ont décidé autrement. Arrivée à l’âge adulte, vous avez subi douloureusement le poids de l’histoire et la tragédie qu’a représenté pour les peuples d’Europe de l’Est et tout particulièrement pour le peuple bulgare, l’instauration brutale du régime totalitaire communiste. Votre père en a été la première et douloureuse victime puisqu’il a été exécuté par les sbires du nouveau régime et fait partie des 17000 bulgares victimes de la répression totalitaire. A travers lui, je veux rendre hommage à tous ceux qui en furent les premières victimes.
Vous subissez vous-même la répression féroce et systématique à l’encontre des congrégations religieuses, qui s’abat tout particulièrement sur celles d’origine étrangère. Vous réussissez avec le plus grand courage à fuir vers la France. C’est cachée sous la banquette du train, au milieu de Sœurs françaises et serrant fort votre crucifix, que vous franchissez la frontière et échappez à la surveillance de la sûreté d’État. Lorsque vous vous relevez, l’alerte passée et la liberté atteinte, la forme du crucifix avait profondément entaillé vos mains : c’est un signe à la fois de votre attachement indéfectible au Christ mais aussi bien sûr de la terreur qui régnait en ces temps là.
Une fois en France vous y intégrez une communauté religieuse où vous acquerrez le statut de Sœur missionnaire. Là aurait pu être votre vie et votre parcours aurait pu en rester là ; tout aurait dû vous conduire à rester à l’abri du bon côté du mur. Mais en 1979, avec un très grand courage, et malgré bien sûr la prégnance toujours notable de l’idéologie athéiste dans la société bulgare, vous décidez, par solidarité envers les vôtres, de retourner en Bulgarie afin de rejoindre votre famille et, comme vous le disiez, « partager les difficultés de vos compatriotes ». A l’arrivée, après 30 ans de séparation, vous avez eu de la peine à reconnaître votre propre sœur qui vous attendait sur le quai de la gare. Votre mère meurt trois mois à peine après votre retour. Vous avez eu la consolation de la revoir avant son décès.
Le gouvernement vous interdisant de vivre ouvertement votre mission de religieuse catholique, vous exercez un travail d’ouvrière dans une fabrique coopérative. Vous y restez plus de 10 ans. Si le régime n’est plus aussi meurtrier qu’à ses débuts, vous devez néanmoins subir un contrôle constant, tatillon et oppressant de la milice et des forces de sécurité. Vous êtes ce que le régime appelle un « citoyen à prédisposition déloyale ».

Mais, à partir de 1989, l’avènement de la démocratie, comme un don de Dieu, permet à votre vie de reprendre librement son cours naturel. Comme une source qui jaillit à nouveau claire et limpide après avoir été artificiellement entravée, les 45 ans de régime communiste n’ont en rien pu vous faire renoncer à vos convictions ni vous faire dévier de votre route. Certes, les années sont passées mais la foi, l’ardeur, l’engagement au service des autres sont toujours là comme au temps de votre jeunesse.
Sans perdre un instant, vous faites bien sûr aussitôt à nouveau état de votre qualité de religieuse et vous affichez votre attachement à la foi catholique toujours intact malgré les années et les épreuves.
Votre deuxième passion, la France et la langue française, est également toujours aussi vive et vous renouez bien sûr avec la mission éducative de votre ordre. Depuis 1994, vous dirigez la Maternelle Française St Joseph de Plovdiv, une des deux écoles maternelles entièrement francophones en Bulgarie. Vous engagez aussi des recours pour essayer de faire recouvrer à votre congrégation les biens qui étaient sa propriété avant la guerre. Malheureusement ces démarches restent vaines.

Vous êtes également la créatrice de la fondation St Joseph qui a pour mission l’éducation en langue française d’enfants défavorisés.
Votre attachement inconditionnel à la francophonie et à notre pays est consubstantiel de la défense des valeurs de tolérance, de liberté de conscience, d’humanisme et d’ouverture au monde que vous n’avez cessé de défendre tout au long de votre vie dans le cadre de votre vocation religieuse.

Je crois que j’en ai assez dit. Chacun voit bien que cette reconnaissance de la France à vote endroit est non seulement amplement méritée, mais je dirais même qu’elle vient un peu tard et je vous prie de m’en excuser.

Sœur Mariana KARAKOLEVA, au nom du Président de la République, nous vous remettons les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.
 
Création: jpmarty