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  Emilie et la justice
par Sr Thérèse Armouet

Ste-Emilie n'a pas parlé de la justice dans le sens où nous l'utilisons aujourd'hui.
Mais comme elle a beaucoup souffert de l'injustice, nous allons regarder comment elle a réagi dans le quotidien de sa vie, face à cette injustice. Je vais en donner deux exemples.

1)La défense du statut de sa congrégation

Comme tous les fondateurs, souvent des pionniers de leur époque, elle se sent investie d'une mission. Pour aller là où l'Esprit l'appelle, pour réaliser son esprit missionnaire, elle a besoin de coudées franches, donc elle ne veut pas que son Institut dépende d'un évêque particulier - comme c'était l'usage à l'époque - mais directement de Rome.
Partout où elle ira, elle travaillera, se démènera, parcourra terres et mers pour aller au bout de ce qu'elle pense être un appel de Dieu.

Ma vocation a été reconnue comme certaine, mon esprit a été reconnu bon par l'Eglise...Il ne m'appartient pas d'abandonner cette oeuvre. Ma volonté, mes forces, tout ce qui est en moi doit être employé à la soutenir, à l'augmenter, à la défendre...Dussé-je combatte jusqu'à la mort, je combattrai. ( juin 1840)
Un évêque parle, dit-elle, et je ne peux lui obéir sans trahir les intérêts de mon institut. Ma conscience m'empêche de me rendre à la volonté de l'évêque.( 1839)



Alors, parce qu'elle croit sincèrement que Dieu lui demande d'être fidèle à son intuition, elle fera face aux évêques, en particulier à Mgr Dupuch, évêque d'Algérie.

C'est alors qu'elle vit une situation d'injustice qui rejaillira sur les soeurs installées en Algérie. On la calomnie, on fait des rapports injustes sur elles, on interprète de travers ses faits et gestes, elle est sans cesse obligée de se défendre. On s'attaque à ses communautés en leur refusant les sacrements, on essaie de monter ses soeurs contre elle - l'une d'elles d'ailleurs va céder et se mettre du côté de Mgr Dupuch - etc...

Ce démêlé avec l'évêque va durer 3 longues années et se terminera par le départ des soeurs alors que celles-ci sont appréciées de tous, aussi bien de la population autochtone que des colons français.

Dans cette lutte, comment réagit Emilie ? Elle se bat, oui, mais refuse d'utiliser les armes de la violence, même verbales. Elle va privilégier le dialogue - on ne compte pas les rencontres et les lettres d'explication - elle se soumet momentanément quand elle pense que c'est juste, elle informe ses soeurs et leur demande conseil; mais elle a horreur du mensonge et ne peut accepter les calomnies. Elle les réfute, mais toujours dans le respect de la fonction et de l'homme et une vérité non déguisée

Mgr, vous voudriez être le supérieur de la congrégation... Vous êtes inquiet de ne pas recevoir une lettre de Mgr de Gualy à qui vous avez demandé ce nouveau titre. Or, Mgr, nous ne pouvons vous accorder cela. Ce n'est pas à vous seul d'ailleurs que je le refuse. C'est à tous les évêques qui me le demanderaient... (à Mgr Dupuch)


L'esprit de vengeance lui est inconnu et elle le transmet à sa famille Plus tard elle détruira une lettre où Mgr Dupuch s'excuse de son attitude passée: Il ne convient pas qu'un évêque s'humilie devant une religieuse. Son frère aidera ce même Mgr Dupuch à fuir l'Algérie où il est poursuivi par ses détracteurs.

A propos de la soeur qui l'a trahie, elle dira " je ne me souviens pas avoir jamais dit une seule parole dans l'intention de l'humilier. "


Dans ce combat, ce qui dicte la volonté d'Emilie, c'est le souci du bien, le service des pauvres, des déshérités de cette Algérie où quelque chose de neuf se dessine, où se joue l'avenir d'une population et celui de la présence chrétienne en pays musulman.


2)Les procès avec Sr Pauline

Emilie doit se battre aussi avec une de ses soeurs, à Gaillac, qui, en son absence, a fait des faux en écritures et risque de lui faire perdre la fortune dont elle avait hérité pour soutenir ses oeuvres, aussi bien en France qu'en pays de mission. Elle entreprendra trois procès pour sauver ses biens et ces procès lui empoisonneront l'existence durant de longues années.

Là aussi Emilie montre son courage et sa ténacité face à l'injustice dont elle est victime.

Mes ennemis de Gaillac cherchent à me dépouiller jusqu'à l'anéantissement. C'est une guerre à feu et à sang...Dans peu d'espace de temps, Mr Berger a reçu des lettres qui lui disent que je suis perdue, que je vais faire banqueroute, que les soeurs doivent se sauver etc.. .Les souffrances morales ne me manquent pas et je n'ai absolument que Dieu pour consolateur.. Jamais je n'ai eu tant de recours à la prière et la vivacité de ma confiance en Dieu augmente à proportion de mes afflictions .Il me semble que si j'étais seule je ne souffrirais rien car l'eau et le pain me suffiraient; mais il n'en est pas ainsi et il faut que le strict nécessaire soit confortable pour les autres...Dans ce fracas d'épreuves, je n'en suis pas moins très en paix et l'amour que j'ai pour Dieu me remplace les allégresses passagères que les biens du monde procurent. " ( 21 juin 1848 )


Quelle conclusion tirer ?

Emilie donne l'exemple d'une personne qui, pour suivre une intuition - qu'elle a longuement réfléchie et fait contrôler - une intuition au service de la foi et de l'humanité tout ensemble, d’une personne qui ne se laisse pas abattre, se défend jusqu'au bout, avec les armes du dialogue, du respect, de la vérité, sans se laisser aller à l'esprit de vengeance.

 
Création: jpmarty